L’art et l’enseignement dans et en dehors des murs

Texte d’introduction du portfolio de Mélanie Lemaître (AESS, promotion 2012)

portofilio

Selon les critères exigés par l’Institut Saint-Luc de Liège, dans l’option « Agrégation », ce portfolio reprend les différents stages exécutés durant l’année, les stages d’observations, les stages pratiques, les stages hors cours et une leçon finale. Ceux-ci sont accompagnés d’une description du contexte, de leçons élaborées pour les stages pratiques et pour quelques heures de stage, de faits observés et d’analyses réflexives.

Les stages sont répartis chronologiquement en différents livrets, pour permettre une meilleure compréhension et lisibilité au lecteur. Il présente également un ensemble de questions survenues durant cette année de formation sur l’enseignement public, l’enseignement par compétences, les compétences en Arts Plastiques, l’enseignant d’Arts, l’évaluation sur les performances, etc.

Les réponses à ces questions sont basées sur des lectures pédagogiques, sociologiques… ainsi que sur mes propres observations et analyses.

Enfin je tiens à préciser que ce qui est noté dans ce portfolio n’est pas immuable, qu’il est comme mon enseignement, en constante interprétation, réflexion et réorganisation.

La pédagogie traditionnelle qui consiste à donner un cours magistral et à demander aux étudiants d’apprendre et de restituer, n’est plus adaptée à notre société. 

Les nouvelles technologies de l’information offrent une mémoire mondiale, disponible à chaque instant grâce à l’Internet. Aujourd’hui, l’enseignant n’est plus le seul détenteur du savoir et ce savoir n’est plus unique. C’est une des premières raisons de l’inadaptation de cette pédagogie dans notre société. Y a-t-il une solution ? Quel serait alors le rôle de l’enseignant et quelle pédagogie faudrait-il adopter ? John Cage, professeur et musicien minimaliste, souhaitait de l’école « qu’elle fournisse à chaque individu, dès l’enfance, une variété d’expériences lui permettant d’utiliser son esprit, non pas pour mémoriser un corpus d’information transmis, mais plutôt pour dialoguer, en tant qu’individu, avec lui-même et avec les autres comme s’ils étaient lui-même ». Une des solutions serait que l’école devienne un lieu où l’enseignement pourrait être la création à la fois collective et individuelle du contenu et du contexte, à l’image d’une oeuvre d’art participative et collective. Une école où l’enseignant mettrait en place une pédagogie nouvelle, telle qu’initié par Freinet, Piaget, Vygotski, Oury, Gàspàr, Freire, etc.

L’éducation nouvelle est un courant pédagogique qui défend le principe d’une participation active des individus à leur propre formation. Elle déclare que l’apprentissage, avant d’être une accumulation de connaissances, doit être un facteur de progrès global de la personne. Pour cela il faut partir des centres d’intérêt et s’efforcer de susciter l’esprit d’exploration et de coopération. Elle prône une éducation globale, accordant une importance égale aux différents domaines éducatifs : intellectuels et artistiques, mais également physiques, manuels et sociaux. L’apprentissage de la vie sociale est considéré comme essentiel. Le rôle de l’enseignant serait de coordonner le groupe et le guider dans son développement de l’apprentissage (1).

Mais il faut aussi, en tant qu’enseignant, donner les outils nécessaires aux étudiants pour leur permettre de structurer leur pensée et de s’orienter dans l’information afin de la critiquer, l’organiser et la créer.

Préparons-les à, « être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures » (2), en leur faisant vivre des situations effectives de cette citoyenneté par la pra tique du « conseil » (Pochet et Oury, 1979), voire par l’instauration de « républiques d’enfants » (Mobius, 1973).

Si l’avènement de nouvelles technologies était une des premières raisons de l’inadéquation d’une pédagogie traditionnelle dans notre société, l’autorité dite « traditionnelle » pourrait en être la seconde. On entend depuis plusieurs années que les jeunes n’obéissent plus, qu’ils ne respectent plus les aînés, etc. C’est un fait que je ne pourrais contester. Selon Philippe Meirieu (3), nous sommes non dans une « crise de l’autorité » mais une « crise du futur », nous ne pouvons plus nous faire obéir car nous ne savons pas au nom de quoi exiger l’obéissance.

Être éduqué, exige de l’enfant de renoncer mais ces renoncements ne peuvent lui être imposés. En revanche, l’enfant renonce si cela incarne une promesse et que cette promesse donne la force de grandir. Or, c’est cette promesse qui ne fonctionne plus, ni dans la famille, ni dans l’école, ni dans la société !

Ce n’est pas que la jeunesse conteste l’autorité, c’est qu’elle l’ignore…

Toujours selon Meirieu, l’éducateur doit aider à la reconstruction d’une autorité légitime parce que questionnable, questionnable parce que légitime. Il est urgent de réaffirmer l’importance de l’autorité en éducation, d’une véritable autorité, celle qui « autorise », « rend possible ce qui ne l’était pas, permet autre chose, à la manière dont un poème ou un film inaugure une perception qui n’aurait pas été possible sans lui » (M. De Certeau, 2003). Il ne faut pas «restaurer l’autorité », mais aider les jeunes à retrouver le goût de contester l’autorité.

Dans son livre, Meirieu parle aussi de « l’élève-sujet », il en définit les caractéristiques et propose 10 manières d’aider l’élève à devenir sujet. Parmi ces 10 manières, il y a « lui imposer des formes d’expression qui lui permettent de prendre sa distance avec l’immédiateté », « l’impliquer dans des projets mobilisateurs », « l’aider à distinguer ce qu’il fait, de ce qu’il a appris », « l’amener à s’interroger », « il faut que le maître soit lui-même dans une position d’investigation intellectuelle à l’égard de son propre savoir et de sa manière de le transmettre », etc.

« L’enseignant doit être dans une position d’investigation ».

Être en recherche constante est pour moi le rôle principal d’un enseignant mais aussi d’un artiste. Ouvrir son espace, sa culture, ne pas considérer qu’il n’y a qu’à l’école qu’on apprend et que l’on voit. Être attentif à l’évolution du contenu et de la forme en art et en éducation. Développer des activités créatives avec des objectifs clairs, qui permettront à l’apprenant d’acquérir des compétences indispensables à son évolution et sa confiance en lui.

« Apprendre dans et en dehors des murs ».

Mais comment évaluer cet apprentissage ?

Voilà une question, qui a été mon principal souci durant cette année d’agrégation. Je ne parle pas ici de l’évaluation formative ou pronostique mais de l’évaluation sommative, celle qui induit de noter l’élève selon des critères et qui s’avère obligatoire dans notre système scolaire.

Évaluer repose sur des comparaisons de performances entre des individus auxquels les mêmes tâches ont été dévolues et sur des comparaisons de comportements dans un univers où tous les moments sont régis par des règles précises et impératives (4).

Je ne saurais oublier que l’apprenant est un individu différent des autres qui a besoin de faire son propre chemin pour apprendre.

J’ai tenté de tenir compte de cette différence durant mes stages d’enseignement, en faisant des évaluations formatives individualisées ou en pratiquant la pédagogie différenciée. Mais cela ne résout en rien le problème de l’évaluation des performances.

Deux lectures de textes écrits par des professeurs en Arts m’ont permis de relativiser, dans le sens où c’est un problème pour beaucoup d’entre nous.

Le premier texte est d’E.W Eisner qui a cherché à s’affranchir de tout système programmé et qui considérait l’éducation comme un art et l’évaluation proche de l’appréciation esthétique, c’est-à-dire soucieuse du qualitatif et non exclusivement fondée sur le quantitatif. Cet « autrement » s’illustra particulièrement dans son étude portant sur les objectifs d’expression. Le chercheur montra que ceux-ci ne font que créer une situation exploratoire où la thématique n’est qu’un support, de sorte que le résultat ne peut être qu’une surprise et pour l’élève et pour le professeur et qu’ainsi l’évaluation ne peut se fonder que sur ce qui a été produit. Cette réflexion essentielle explique le paradoxe qui travaille la mission d’évaluation de l’enseignant d’art : plus l’ambition est grande (l’objectif d’expression autonome, ce qui serait la compétence ultime !) moins il est possible d’opérationnaliser les objectifs d’acquisitions, c’est-à-dire d’énoncer par anticipation des comportements observables et les critères qui permettront de l’apprécier(5).

Le deuxième texte est, Évaluer et apprendre, l’un dans l’autre, d’Eric Van Den Berg (6). Il fait état de ses débuts de carrière dans l’enseignement et des difficultés rencontrées lors des évaluations où il mettait des points en regardant, jugeant et comparant. Puis, le temps passant, il a commencé à évaluer avec d’autres enseignants, à coté l’évolution et le processus, et à impliquer l’élève dans la construction des savoirs à évaluer. Maintenant, ce professeur et directeur, définit une cote et demande à ses élèves de s’auto- évaluer. Si les côtes correspondent, il n’y pas de discussion. Si elles ne correspondent pas (en la défaveur de l’apprenant), il y a discussion entre le professeur et l’élève qui doit argumenter.

Une dernière chose, « puisque l’oeuvre d’art a changé dans sa forme et dans ses finalités, puisque les modèles classiques et académiques ne peuvent plus exister compte tenu de la modernité et du contexte social de l’époque contemporaine, on ne peut plus trouver de consensus qui déterminerait la valeur artistique de telle oeuvre ou de telle autre sur des critères formels. Il faut peut-être chercher aujourd’hui l’artisticité à l’intérieur de l’artiste plutôt que dans ce qu’il donne à voir »,

« Ce sont peut-être plus des « savoir- être » qui déterminent des pratiques, que des « savoir- faire » ?(7)

  1. http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ducation_nouvelle
  2. Article 6, du Décret-Missions.
  3. Philippe Meirieu, Pédagogie : le devoir de résister, ESF éditeur, 2007. 
  4. Sabine Kahn, Pédagogie différenciée, Groupe De Boeck S.A, 2010.
  5. Eisner E.W. (1985), The Art of Educational Evaluation: a Personal View. Philadelphia: Falmer.
  6. Eric VAN DEN BERG, Evaluer et apprendre, l’un dans l’autre, TRACeS de ChanGements 179, Janvier- Février 2007.
  7. Isabelle ARDOUIN, Du dessin aux arts plastiques, Professeur agrégée d’arts plastiques, IUFM de Lyon.

 

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